Chez moi, c’est… dans ma cage fleurie.

6 octobre 2014

Chez moi, c’est… dans ma cage fleurie.

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Je m’appelle Romuald. Elle m’appelle « le drap de Mamine ». Je ne sais même plus quel âge j’ai. Je ne suis plus tout jeune, c’est sûr. Mon espèce ne souffre pas de rides, mais de trous. Et j’en compte une bonne dizaine.

Ca n’a pas empêché Céline de m’aimer dès notre première nuit ensemble, en 2001. Elle revenait juste de six longues années à l’étranger entre l’Argentine et la France et vivait chez sa grand-mère, Mamine. C’est là que nous nous sommes rencontrés. Elle devait se sentir un peu seule, déracinée, à la recherche d’un petit coin protégé, et nous avons partagé beaucoup de moments jusqu’à ce qu’elle déménage. Nous dormions ensemble, nous étudiions ensemble, nous regardions des films ensemble.

Par après, à chaque fois que Céline revenait chez sa grand-mère pour une nuit, un week-end, c’est moi qu’elle cherchait: elle fouinait dans les armoires jusqu’à me mettre la main dessus. Je l’attendais patiemment entre les taies d’oreiller et les draps-housses.

Puis un jour… Mamine s’en est allée. Il a fallu des dizaines de bras pour ranger, trier, vider cette grande maison familiale que son mari avait construite à leur retour d’Afrique. Lorsqu’une de ses tantes s’attaqua au rangement de la literie, le sang de Céline ne fit qu’un tour: Où est Romuald? Elle m’accueillit chez elle et notre idylle reprit son cours.

Elle m’emmenait partout avec elle, en camp scout, à son kot, en vacances, elle ne me laissait aucun répit. J’adorais cela. Nous ne pouvions pas rester éloignés plus que le temps d’une lessive. Dans mes bras, elle dormait bien, ses rêves de voyages, de découvertes, trouvaient écho, ses secrets les plus intimes étaient bien gardés. Même avec ses amants, elle me gardait auprès d’elle.

Je me souviens avec beaucoup de tendresse du jour où elle m’a mise dans son sac à dos, à Lima, alors qu’elle s’apprêtait à partir pour une nuit mouvementée. Troublée par la vie chavirée par mille émotions, Céline entreprit un voyage initiatique avec un chaman: une cérémonie d’Ayahuasca. Elle savait que ce breuvage accompagné d’incantations et de mélodies de l’au-delà allaient la retourner. Alors elle m’invita à l’accompagner, pour la rassurer. Lors que la potion fit son effet, elle m’attrapa, s’enroula en moi et fut apaisée. Elle savait que quoiqu’il arrive, peu importe où ses démons enfouis l’entraîneraient, je ne l’abandonnerais pas.

Elle m’a pourtant abandonné un jour. Alors qu’elle avait dû quitter à la hâte sa maison à Port-au-Prince au milieu de la nuit, elle m’a laissé derrière elle. Son ordinateur, la photo de son frère et sa brosse à dent avaient pourtant trouvé leur place dans son sac à dos d’urgence. Pas moi. Je passai alors une des pires nuits de ma vie. Des hommes entrèrent dans la maison à l’aube et emportèrent tout ce qui leur semblait avoir de la valeur. J’essayai de me cacher au fond de l’armoire, mais ils ouvrirent violemment la porte et sortirent tous les vêtements qui m’accompagnaient. Un d’eux m’attrapa, mais je ne l’intéressais pas et il me jeta au fond du placard. Avais-je la vie sauve? Combien d’autres hommes allaient faire irruption pour tenter de s’approprier un petit bout de sa vie?

Le lendemain, un de ses amis, Laurent, s’aventura dans la maison dévastée. Je l’entendais parler seul. « Alors, le drap, le drap, il est où ce drap? ». J’en conclus que Céline lui avait demandé de venir me secourir! J’étais au fond du placard, recouvert de vêtements apeurés et secoués, j’entendais sa voix s’éloigner. Son téléphone sonna. « Oui, je suis dans ta chambre, c’est pas joli-joli, mais je crois qu’ils ont surtout pris les choses de valeur ». J’en avais à ses yeux de la valeur. Mais ces hommes ne le savaient pas. Le jeune homme entra dans la penderie et me trouva, il eut l’air soulagé: « Oh! Te voilà. J’en connais une qui va être heureuse ».

Laurent me tendit à Céline. Elle soupira et me cala contre son coeur. Plus jamais elle ne m’abandonnerait.

Plus de dix ans ont passé depuis notre première nuit. Une certaine routine s’est installée mais elle n’a rien pour me déplaire: je voyage en cabine, je dors chez ses amis, dans les hotels, je l’accompagne dans ses fièvres, ses chagrins, ses gueules de bois, je suis aux premières loges.

Je m’appelle Romuald. Je suis plus qu’un drap. Je suis une cage fleurie pour une globe-trotteuse casanière, un toit pour les états d’âme, un petit bout de chez elle où qu’elle se trouve.

 

Ceci est un blog personnel. Les opinions qui y sont exprimées sont les miennes et ne représentent d’aucune façon la position de mon employeur, le CICR.

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Commentaires

Chico
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On aurait tous besoin d'un drap comme ça !

Mo
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J'ai la gorge nouée et te lire fait remonter en moi tant d'émotions vécues dans la maison familiale.