Ils m’appellent « Monique »

22 décembre 2014

Ils m’appellent « Monique »

Ce début de mission congolaise a le don de me renvoyer au passé, aux racines. Agréable sous certains aspects. Déroutant sur tant d’autres. Encore 48 semaines à être surprise et interpellée. Pourvu que je tienne.

Il y a d’abord cette inéluctable question : « D’où venez-vous? » Et ces deux réactions sans égales. Soit je suis face à un étranger et, généralement, en tant que Belge, on s’en sort pas trop mal. « Ah! Je connais bien Bruxelles, le Délirium et ses bières, la place du Lux’. Alors? Vous avez un gouvernement maintenant? J’adore les Belges, vous êtes tellement sympas et drôles! Pas comme les Français qui se prennent au sérieux… » Ou alors mon interlocuteur est un autochtone, et là… c’est la roulette russe… dans ma tête. Amer cultivateur d’un souvenir colonial mal digéré… ou amateur de frites et nostalgique d’une époque révolue? Car on a beau me dire que les Congolais aiment leurs tontons et tantines belges, la petite fille d’anciens travailleurs dans la colonie, fille d’un Belge né au Congo belge (et d’une Française née au Sénégal…) que je suis, s’attend au pire. J’en ai rencontré des Péruviens qui six siècles plus tard crachaient sur les Espagnols alors qu’ils jurent dans leur langue et prient leur dieu. Sans compter les Haïtiens ou les Centrafricains (certes, pas majoritaires selon mon expérience) qui voulaient voir les Blancs dehors. Alors pourquoi m’épargnerait-on? Ils auraient leurs raisons de me mépriser et me canarder de clichés historiques dont je ne saurais que faire, moi, enfant de fin de siècle.

Mais force est de constater que jusqu’à présent, tout le monde semble vouloir que je me sente ici chez moi. C’est ce qu’ils me répètent tous. Tantôt, ils ont un cousin qui a étudié à Gembloux, tantôt ils rêvent de rendre visite à leur tante qui tient un restaurant à Matonge. Ils disent « septante » et « nonante ». Il y a quand même sacrément de quoi se sentir en famille.

Et puis il y a ces signes (auxquels je crois) et qui s’évertuent, eux aussi, à me rappeler à une réalité passée, des personnes-clé ou des racines enfouies. Ma première sortie sur le terrain dans la région de Katoyi en a été remplie, et ce ne fut pas pour me déplaire, mais deux appels du pied célestes m’ont particulièrement marquée.

BETESE? B…T…C…? 

Le popotin démoulé à l’arrière de la moto, notre petit convoi s’approche d’un des nombreux camps de déplacés que compte la zone. Au son de la moto, des mini-pouces en guenilles, sourires accrochés aux mâchoires, se précipitent aux abords de la route et se mettent à crier « Betese! Betese! Betese! ». Mon cerveau de baroudeuse clique instinctivement et se recréé une image familière… un logo… bleu, vert, rouge, orange… surmonté de quelques initiales… CTB… BTC… Betese. Mais comment mes neurones ont-ils pu en arriver là? Alors que je tente de ne pas valser de la moto en m’y cramponnant d’une main, l’autre reprend un geste familier de Princesse Mathilde ¹(Ah.. mincelogo-btc-fr… elle est Reine maintenant…) répondant ainsi aux cris enfantins et à ces petites menottes tendues. Mon esprit divague à nouveau et je deviens soudainement représentante de la CTB à Katoyi, éminence de l’Etat belge qui tente de panser les blessures qu’il a jadis infligées au Congo et qui peinent à cicatriser!

 

Puis c’est une nostalgie inattendue qui m’agrippe. Je revois défiler ces trois années au Pérou, à travailler avec la CTB.Cusco

Ces découvertes andines, ces quiproquos culturels, ces paysages sans fin. Je me souviens de mes collègues, des secousses sismiques, du ceviche, de ces rues et ces odeurs que j’aimais tant… Soudainement, un bourbier me ramène à la réalité. « Il faut quitter ». Autrement dit, descendre de la bécane et traverser la boue jusqu’à un tronçon plus sûr pour mon royal popotin. De reine africaine de la CTB, je passai à une Robocop maladroite, genoux et coudes protégés, tête encasquée, mains gantées, tentant de ne pas m’étaler dans les flaques.

Quelle ne fut pas ma surprise lorsque le soir venu, en discutant avec mes collègues, j’appris que « Betese » voulait en fait dire « étranger » en Kinirwanda. L’équivalent du Mzungu, du Munzu, du Blan ou Gringo, en somme. Je terminai de tomber de mon piédestal et allai me coucher.

MONIC! BISCUIT! 

Le lendemain, vers d’autres villages, d’autres enfants couraient à perdre haleine en devinant le convoi royal s’approcher. Les mêmes sourires, les mêmes habits, mais cette fois-ci, ils m’appelaient « Monic »… et voulaient tous un mystérieux biscuit. Rares sont ceux qui ignorent que ma tendre maman s’appelle Monique. Plus rares seront ceux qui auront connaissance de mon troisième prénom… Monique.  Diantre ! Quel est à nouveau ce signe, cet appel d’horizons lointains et si proches à la fois? Y aurait-il un dieu qui me joue des tours? Serait-ce Jean-Louis qui veut me dire quelque chose? Pourquoi m’appellent-ils Monique?

Emmitouflée dans mon casque et mes protections, ballotée sur une moto sans concessions, mon esprit préfère ne pas chercher de réponse. Il s’attarde plutôt sur Monique. Ma maman. La madre. Moz.

Moz

Quelques semaines auparavant, j’étais avec elle, chez elle, chez moi. J’avais établi une liste des plats que j’avais envie de manger pendant mes vacances et aucun n’avait manqué au menu. Je voulais oublier ces mois de diète, de riz, sauce légumes et manioc. J’avais acheté, à la dernière minute, un pantalon trop long en manque d’ourlets et ses doigts de fée avaient opéré. J’avais eu besoin de ne pas m’occuper de moi et elle l’avait fait pour moi. Comme si j’avais 10 ans.

Sur cette même moto, au fond de la brousse, entre ces montagnes congolaises, le corps endolori par les bosses et les chutes, alors que j’étais si loin de mon plat pays goudronné à foison, ces petits enfants m’avaient appelée « Monic », me poussant sans avertissement dans les derniers souvenirs que j’avais de ma petite maman. Je ne pus m’empêcher de regretter la manière dont nous avions cohabité certains jours récents. Fatiguée après cette inracontable mission en Centrafrique, perdue dans les limbes de l’entre-deux-missions, je n’avais pas su me rapprocher d’elle pendant ce court intermède que furent mes quatre semaines de vacances. Elle m’en avait voulu. Elle me l’avait dit. Je ne l’avais pas compris.

Alors que le soir même, autour d’un autre feu, mes collègues rigolaient en m’expliquant que « Monic » faisait en fait référence à « Monuc », ancienne appellation de la Monusco² (mission onusienne en RDC), je ne pus m’empêcher de croire que c’était en fait un signe divin de ma maman qui veillait sur moi et qui m’accompagnerait pendant toute ma mission au Congo.

De retour à Goma, je finis d’accepter que j’étais chez moi ici. Tous ces signes avaient parlé. Cela ne prit qu’un dernier clin d’œil (une serveuse qui ne rechigna pas à m’apporter de la mayonnaise, de la vraie pour mes frites) pour que je baisse ma garde et accepte l’inévitable.

Ma Maman Monique et la sacro-sainte mayo veillent sur moi. Ma mission au Congo, entre passé et présent, peut commencer, je n’ai plus peur de rien.

Vivement 2015!

 

Ceci est un blog personnel. Les opinions qui y sont exprimées sont les miennes et ne représentent d’aucune façon la position de mon employeur, le CICR.

 

¹ Pour relire mon mimétisme avec la, naguère, rincesse Mathilde en Centrafrique, lisez ceci.

²Pour en savoir plus sur la mission des Nations unies en RDC, cliquez ici.

 

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Commentaires

virginie
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c'est touchant de vérités...que cette nouvelle année réalise vos rêves les plus fous princesse Mathilde

Roch Burton
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Bonjour,
j'ai vécu 3 and en RDC.
J'aimerais être avec vous.
Bonne chance dans votre mission !!!
Baisers

marie b
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Alors tu dois lire Samantha à Kinshasa de marie Louise mumbu :-) bon début de mission!

Céline
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Je vais chercher cela! Merci pour le conseil, marie et longue vie à Decokidsnco! :)

Serge
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Et donc vous êtes né dans quelle ville?
Très très intéressant ce texte, ça fait réflechir... En tant que congolais, je dois avouer que j'éprouve presqu'une indifférence par rapport aux belges. Ou est-ce par rapport à la classe politique belge?
Je ne sais pas ...
Le fait est qu'en RDC, les blessures laissées par la colonisation ne se sont pas cicatrisées... et les dernières actions de Louis Michel "chez nous" n'ont pas arrangé les choses

Céline
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Salut Serge,
Je suis née à Bruxelles.
Bien entendu mon sentiment n'est pas à prendre comme un reproche vis-à-vis des Congolais! J'ai juste du mal à digérer que parfois on m'associe à une période durant laquelle je n'étais même pas née et pour laquelle je ne peux surtout rien changer... Heureusement, après deux mois, les sentiments positifs sont plus nombreux et je ne fais guère attention aux négatifs car dans mon travail je représente la Croix Rouge, pas la Belgique. Donc je mords sur ma chique comme on dit chez nous :)