Dame Nature m’a tuer

11 novembre 2015

Dame Nature m’a tuer

Fourmis sur la montagne avant l'orageTu es là, tu es partout, je ne te vois plus. Luxuriante, époustouflante, éprouvante, telle une Grande Dame, tu berces les toits les soirs d’orage, tu fais valser les land cruisers avec ta boue, tu nous nourris de tous tes fruits. Travailler en Afrique a cela de bon : tu es la Reine Nature, l’incontestable Reine Nature.

Avoir un bureau sous les avocatiers, les palmiers et les flamboyants, cela n’a rien d’anodin. Parfois je lève les yeux quand je m’enfume sur le parking de la base et je regarde tes habitants. Ces petits amis volants et criants, qui habillent tes branches de toutes les couleurs. Je me souviens de ce bureau ministériel où ma seule vue était le ciel gris de Lima et les autres bâtiments salis par la poussière et la misère urbaine. Reviennent à moi ces images bruxelloises d’un bureau en macadam où les plantes sont bien rangées devant les pare-chocs ou dans des pots à l’entrée, histoire de nous rappeler que même cachée sous l’asphalte, tu es bien là.

Point de couverture routière ici, c’est ta terre qui nous transporte. Volatile et mesquine en saison sèche, coquine P1000649 (2)et déroutante avec les pluies, c’est toi qui décide de nos destins. Tu fais tomber les arbres sur les routes, tu inondes les pistes, tu casses les ponts. Nous ne sommes que d’humbles promeneurs à ta merci dans cette immensité.

Mais lorsque tu nous laisses atteindre notre destination, tu ne nous laisses pas tranquilles pour autant. Tu nous obliges à surmonter ces collines escarpées d’où la vue est imprenable et la respiration insupportable. Ta pluie nous pénètre les os quand elle nous surprend sur la moto mais nous ne perdons pas courage ! Nous continuons la route et persévérons dans tes forêts sur ces sentiers à sens unique. J’imagine des animaux bienveillants m’observant depuis leurs nids et se moquant de cette muzungu née dans le béton et la brique, catapultée dans tes entrailles où l’être humain est si peu de chose.

P1000880 (2)Le retour des pluies ne fait que t’embellir encore et nous rapetisse toujours un peu. Je me laisse avaler par tes branches, par tes rayons et tes caprices. Je m’imagine impuissante perdue dans tes méandres, incapable de retrouver mon chemin vers la lumière artificielle. Je rêve que tu me manges toute crue et que tu laisses mon corps pourrir et nourrir ta terre pendant de longues nuits orageuses où je retourne, enfin, gramme par gramme, à tes intestins. Je me laisse mourir en regardant tes toits verts, taquinée par tes bestioles, l’esprit urbain enfin libre et la paix retrouvée.

 

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